A la périphérie de Cotonou au Bénin, précisément au Carrefour Tankpè, se découvre un espace commercial réputé grâce à la forte présence de la communauté nigérienne qui y a établi son commerce. Des articles de tous genres ; des vêtements aux accessoires téléphoniques, en passant par le matériel électrique et électronique, sont proposés aux consommateurs. Dialogue Migration vous plonge dans cet univers cosmopolite économiquement riche et culturellement fécond.
En cette journée de mai 2023, l’ambiance est comme à l’accoutumée au rendez-vous au Carrefour Tankpè, un espace commercial animé par une forte communauté nigérienne vivant sur le sol béninois, dans la commune d’Abomey-Calavi, cité dortoir de Cotonou.
De part et d’autre de la voie pavée partie du Carrefour Tankpè à la Centrale électrique de Maria-Gléta, se dresse une vingtaine de boutiques où on trouve un peu de tout. Du matériel électrique aux accessoires électroménagers, et de téléphones, des sacs, valises, lunettes, maillots de sport, chaussures … L’offre d’articles usuels est suffisamment alléchante pour passer inaperçue.
Entre les arrivées et les départs des clients, les uns à bord de moto ou en auto et les autres à pied, les marchandages s’enchaînent sur le coût des produits en vente. Les «Babas» (Ndlr-appellation des communautés musulmanes Haoussa et dérivées du nord du pays), comme on les désigne ici, sont aux petits soins de leur clientèle. Une demande d’article et son prix par-ci, offre de cirage impeccable de chaussures par-là, essayage d’articles ou visite des étales çà et là animent les lieux.
Abdoulaye Issiaka, vendeur ambulant d’accessoires de beauté du genre : boucles d’oreilles, montres, bracelets et autres, s’occupe avec minutie de sa mallette vitrée. Assis entouré de quelques-uns de ses pairs, il présente, tout enthousiaste, son business. « Le matin, je viens chercher sa mallette pour faire le tour des quartiers à la recherche de potentiels clients », explique-t-il.
Quelques heures après, aux environs de 17 heures 30 minutes, il effectue son retour sur les lieux, un magasin dont le tenancier est un proche parent. Issiaka travaille pour son propre compte, mais en l’absence de ce dernier, il le supplée pour continuer le service de vente des articles dont il maîtrise les prix. « Je suis ici depuis 7 ans environ. Et c’est ce travail-là que je fais », confie-t-il.
De temps à autres, des vendeurs ambulants après des tours effectués dans les quartiers, font également leur retour, mallettes vitrées en main pour certains, ou une boîte d’outils de cordonnerie (shoemaker) pour d’autres ; certains avec leurs poussettes de marchandises. L’instant pris par les uns pour se reposer est mis à profit par les autres pour retourner en zone. Pendant ce temps, les discutions en Zerma vont bon train devant certains étals.
La proximité et le service rendu à travers l’offre commerciale par la communauté nigérienne ne laisse pas indifférents les usagers. « Leur présence nous facilite les choses pour vite trouver ce dont on a besoin en sortant de chez nous … Je trouve qu’ils sont accueillants, même si parfois ils exagèrent sur le coût des articles. Ils peuvent taxer le double du prix réel, et si tu n’es pas familier de leur manière de vendre, tu vas penser que c’est cher. Mais après discussion, on trouve un terrain d’entente », témoigne Roger Zinsou, un Béninois venu payer des sous-vêtements.
Un aspect bon marché qui attire également certains adeptes des bonnes affaires, comparativement aux prix fixes des boutiques classiques sur lesquels on ne peut marchander.
Plus loin, Harouna Youssouf tient une échoppe installée sur les lieux depuis plus de deux décennies par son père. Ce dernier vaque à d’autres activités commerciales du côté du marché Dantokpa à Cotonou. « Ici je ne suis pas le premier à y être. Il y avait quelqu’un. Si je vais, quelqu’un d’autre arrivera. Je vais partir pour un an et demi avant de revenir. Nous, on va au champ… », explique-t-il.
Parlant de ses rapports avec la clientèle, il confie que c’est une chose qui nécessite de s’armer de patience. « Pour vendre, si tu n’as pas la patience, ça ne peut pas aller. Il y a beaucoup de gens qui achètent des produits pour ensuite nous les ramener », se désole-t-il.
L’omerta par crainte de représailles
Difficile d’arracher un mot à certains après la déclinaison de l’objet de notre visite dans ce lieu de commerce. « Le propriétaire de la marchandise n’est pas là, je n’en suis que le surveillant » ; « Je ne comprends pas bien français, allez voir celui qui est là-bas, lui peut vous parler… ». Par crainte de s’attirer des ennuis, la plupart des échanges sont esquivés par des membres de la communauté étrangère vivant sur le sol béninois.
Ils sont réticents à l’idée de s’exprimer sur certaines questions de peur que cela soit à l’origine de troubles entre les deux pays dont ils seraient les plus grands perdants. D’un tenancier à un autre, sans grand-chose à filtrer, Yazid Abdallah décide de se lancer, mais hésite avant de nous rediriger vers un de ses ”frères”, Aboubakari Hassan. Lequel va juger nécessaire, pour se prémunir de tout sujet à polémique ou pouvant lui attirer des déconvenues et par ricochet à sa communauté, d’égrener un chapelet de prières, avant de se prêter à nos questions.
De mémoire, aucune presse ne s’est intéressée à eux depuis qu’il est dans le secteur bien qu’il ait des clients et amis, acteurs des médias. Mieux, il fait office du plus ancien membre de la communauté sur les lieux.
Aux origines d’un carrefour commercial
Aboubakari Hassan est l’un des plus anciens de sa communauté installée au Carrefour Tankpè. A ce titre, il remonte le temps pour nous parler des premières installations nigériennes à Tankpè au Bénin. « Avant, on n’était que six. Trois personnes d’un côté comme de l’autre et il n’y avait pas une grande voie. A la place, il y avait des manguiers et des champs de maïs. Aujourd’hui, c’est devenu une grande ville avec des rues pavées. Je me rappelle qu’avant, c’est avec le multimètre qu’on testait les ampoules », se souvient-il.
Aboubakari Hassan, vend du matériel d’électricité, des ampoules, rallonges et autres. « Moi, je suis là depuis 2002, cela fait 21 ans. Je connais partout ici », dit-il. De tous les enfants de son père, une vingtaine, Hassan est le seul à ne pas être allé à l’école française. De ses allégations, son père a plutôt opté pour qu’il fasse l’école coranique. Le français, c’est au Bénin qu’il l’a appris petit à petit à l’école de la vie pour faire marcher son petit commerce auprès d’une clientèle à majorité francophone. « Il y a plusieurs personnalités à qui j’ai vendu du matériel électrique pour leurs chantiers de constructions », évoque-t-il, pour exprimer le lien relationnel tissé avec diverses personnes de nationalité béninoise, avec qui il entretient des relations de confiance, d’amitié et de fraternité.
Durant les échanges, l’un de ses enfants, un petit garçon, revenu de l’école fit son apparition. Il lui arrache le téléphone et se met à jouer avec. « C’est mon enfant, il est né au Bénin, il n’est pas seul, ils sont trois », indique Aboubakari Hassan. Il poursuit : « Mes enfants sont tous nés ici. Ma femme est Béninoise, elle est de Savè. Je suis retourné une fois au Niger et après, je suis reparti une nouvelle fois avec les enfants et leur mère pour leur faire découvrir mes origines, connaître la maison de mes parents. Mais ma femme et mes enfants sont béninois. Moi-même, on m’a déjà informé sur les démarches à suivre si je voulais obtenir la nationalité », confie-t-il, plein d’entrain.
Vision cosmopolite du monde
Hassan comme la plupart de ses compatriotes établis au Bénin a une vision cosmopolite du monde. « L’Afrique, c’est le même peuple. Avant, il n’y avait pas de Bénin ni de Niger, c’est la colonie. A cette époque, mon père qui fut ancien combattant a été envoyé à Dakar, puis, après la formation, à la Martinique. A son retour, il fut l’un des tout premiers douaniers du Niger », fait-il valoir. Avant de se désoler du comportement frisant la xénophobie de certains citoyens du peuple hôte. « Il y a certains clients qui viennent nous embêter en nous rappelant qu’ici c’est le Bénin; et moi ‘’Baba’’, ici, ce n’est pas chez moi. Ils me disent cela, soit, ils vont créer des histoires », regrette-t-il.
Toutefois, à force de cultiver en soi la paix, Hassan dit avoir remarqué au fil des ans une nette amélioration de cet état d’esprit déplorable. « Maintenant, cela a changé, même si quelqu’un vient faire du bruit ici, il n’insiste plus pour qu’on aille au commissariat. Car, il sait que les convocations ne se délivrent plus comme avant. Même s’il est policier, il ne va pas venir te créer des problèmes… Ça a changé », reconnaît-t-il pour s’en réjouir.
Au fur et à mesure que le temps passe, la journée tire à sa fin du côté de l’espace commercial. Les membres de la communauté nigérienne s’apprêtent à la prière du soir dans l’espoir de redémarrer une nouvelle journée de commerce le lendemain.
A noter que le Niger compte une forte communauté au Bénin. Dans ce pays voisin, il dispose de deux représentations diplomatiques: une ambassade à Cotonou et un consulat à Parakou. Par ailleurs, on dénombre des locuteurs du Haoussa et du Zerma dans ces deux pays, dont certains habitants ne sont séparés de leurs proches parents que par le fleuve Niger.
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