
À l’Est du Tchad, la situation humanitaire atteint des niveaux critiques. Depuis 2023, les provinces du Ouaddaï, du Wadi Fira et du Sila accueillent près d’un million de personnes fuyant la guerre au Soudan. Pourtant, les analyses conjointes du gouvernement tchadien et des organisations humanitaires indiquent qu’avant même cet afflux massif, deux personnes sur trois dans ces provinces avaient besoin d’une assistance humanitaire au début de l’année 2023. Aujourd’hui, près de 2,4 millions d’hommes, de femmes et d’enfants y vivent dans le besoin.
Face à cette crise, les communautés locales ont fait preuve d’une générosité remarquable. Mais deux ans après le début du conflit soudanais, la pression devient insoutenable : le manque d’eau, de nourriture, d’abris et de soins affecte gravement les conditions de vie.
Des arrivées massives qui bouleversent l’équilibre local
Depuis le 15 avril 2023, plus de 769 000 réfugiés soudanais et 216 000 retournés tchadiens sont arrivés au Tchad, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Ces chiffres s’ajoutent aux 400 000 réfugiés déjà présents, ayant fui le Darfour depuis 2003. Rien qu’en 2025, plus de 50 000 nouveaux réfugiés et 24 000 retournés ont été enregistrés. Des chiffres qui pourraient atteindre 250 000 et 40 000 d’ici la fin de l’année.
Ces populations franchissent la frontière par plus de 32 points d’entrée, principalement dans les provinces de l’Est. Les femmes et les enfants représentent 88 % des nouveaux arrivants, confirmant la vulnérabilité de cette crise.
Une pression croissante sur les ressources et le tissu social
La fermeture partielle de la frontière avec le Soudan en avril 2023, a interrompu les échanges commerciaux traditionnels. Résultat : les prix du mil et du sorgho ont augmenté de plus de 50 % dans les marchés d’Abéché et de Goz-Beïda. L’accès à l’eau devient un enjeu vital dans cette zone semi-aride, où les puits et forages ne suffisent plus à répondre aux besoins d’une population presque doublée.
L’économie locale, dominée par le petit commerce et l’artisanat, est également sous tension. Tchadiens et réfugiés se disputent les rares opportunités d’emploi, favorisant l’essor d’activités illégales ou l’enrôlement par des groupes armés actifs dans la région.
Les camps enregistrent des tensions récurrentes autour de la distribution de vivres et d’articles non alimentaires. Les femmes et les enfants, souvent chargés de collecter l’eau ou le bois, sont exposés aux violences et aux agressions. Les humanitaires s’alarment : sans protection renforcée, ces populations restent extrêmement vulnérables.
Portrait des provinces les plus affectées dans l’Est du Tchad
Ouaddaï, épicentre de la crise, héberge à lui seul près de 646 000 réfugiés. Les camps d’Adré et de Toumtouma sont surpeuplés, la demande en eau potable a doublé en trois mois. L’inflation aggrave la précarité des ménages déjà fragiles.
Dans le Sila, Goz-Beïda enregistre plus de 148 000 personnes déplacées. Les structures sanitaires locales peinent à répondre aux besoins : rupture de vaccins, latrines insuffisantes, et flambées de rougeole et de dengue.
Dans la province de Wadi Fira, Iriba et Guéréda accueillent environ 126 000 réfugiés dans des camps de transit. Les routes rurales sont impraticables pendant la saison des pluies, isolant les villages et compliquant la distribution de l’aide.
Un appel à la solidarité internationale
Le 15 avril 2025, à l’occasion des deux ans du conflit au Soudan, François Batalingaya, coordinateur humanitaire des Nations unies au Tchad, a tiré la sonnette d’alarme dans une lettre ouverte. Il exhorte la communauté internationale à ne pas détourner le regard.
Le plan humanitaire 2025, souligne-t-il, vise à aider plus de deux millions de personnes avec des services essentiels : nourriture, soins médicaux, abris et eau potable. Mais sans financements urgents, ces actions risquent d’être insuffisantes.
Transformer une crise en opportunité de résilience
Alors que le conflit soudanais entre dans sa troisième année, les humanitaires rappellent que derrière les chiffres se cachent des vies humaines. Pour le Tchad, cette crise n’est pas une urgence temporaire : elle constitue un défi de long terme.
En conjuguant réponse humanitaire, investissements dans le développement local et dialogue interculturel, le pays peut transformer cette épreuve en levier de cohésion et de solidarité durable, notamment dans les provinces de l’Est.
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