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UE-Sénégal : Zoom sur Frontex et son protocole d’impunité pour freiner les candidats à la migration irrégulière
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UE-Sénégal : Zoom sur Frontex et son protocole d’impunité pour freiner les candidats à la migration irrégulière
Ayoba Faye 🇸🇳
Ayoba Faye 🇸🇳
March 14, 2023

Le 28 juin 2022, la Commission européenne a rédigé un Protocole d’accord qu’il a soumis à l’Etat du Sénégal pour validation. Dans l’Annexe de ce document dont Dialogue Migration détient copie et qui est intitulé : « DIRECTIVES POUR LA NÉGOCIATION D’UN ACCORD ENTRE l’Union européenne et la République du Sénégal sur les actions menées par l’Agence des garde-frontières et garde-côtes en République du Sénégal », il y a six (6) points essentiels sur lesquels la Commission européenne se base pour négocier un nouveau statut pour ces agents de Frontex sur les côtes sénégalaises. Parmi ces points, il y en deux (2) qui ont particulièrement attiré notre attention. 

Le point numéro 3, « Tâches et pouvoirs des équipes » recommande ce qui suit : « Les membres de l’équipe devraient être habilités à exécuter toutes les tâches et à exercer tous les pouvoirs exécutifs nécessaires au contrôle des frontières ; ils devraient avoir le droit de porter des armes de service, des munitions et équipements et les utiliser conformément aux lois de la République du Sénégal ».

Ce qui veut dire que les agents européens qui seront envoyés en mission de surveillance sur les côtes sénégalaises, si l’accord est paraphé avec les autorités locales, seront armés et auront le droit d’ouvrir le feu, s’ils en jugent nécessaire.

Ensuite, le point numéro 4, « Privilèges et immunités des membres des équipes et du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes », qui a suscité l’indignation de bon nombre d’observateurs et de défenseurs de droits humains demande une immunité totale des agents européens vis-à-vis des juridictions sénégalaises. « (…) En particulier, ce personnel devrait bénéficier d’une immunité totale vis-à-vis de la juridiction pénale de la République du Sénégal en toutes circonstances. Ils doivent également bénéficier de l’immunité de la juridiction civile de la République du Sénégal pour les actes accomplis par eux dans l’exercice de leurs fonctions officielles », demande la Commission européenne dans le protocole d’accord. 

A noter que cet accord, non encore signé, devrait couvrir le territoire sénégalais. Les ajustements nécessaires liés à la portée géographique peuvent être faits au cours des négociations entre les deux parties. Il devrait également prévoir la possibilité pour les agents de Frontex de mener des opérations conjointes et des opérations rapides aux zones d’interventions.

Les défenseurs des droits humains alertent sur les dangers de signer l’accord

Mais le Directeur d’Amnesty International Sénégal est formel. « Le Sénégal ne doit pas signer un accord qui accorde une immunité totale aux policiers de Frontex déployés sur son territoire », affirme Seydi Gassama.

Pour Ousmane Amadou Diallo, Chercheur à Amnesty International, « il n’y a aucune raison pour que l’Etat du Sénégal signe un tel accord qui est en violation des droits potentiels liés à la justice, à la vérité et à la transparence ». Pour lui, « les dangers de la signature d’un tel accord seraient multiples. Notamment à ce qui a trait à la protection des droits des migrants

Il ajoute que « l’Union européenne travaille depuis plusieurs années à contrôler les flux de Migrants qui passent, soit par le Sahel, soit par l’Atlantique pour rallier les pays Schengen. Alors, l’expansion de Frontex ne fait que s’élargir depuis plusieurs années. Notamment avec la présence d’agents à la police des airs et des frontières. Mais là, on le voit (sur le protocole d’accord de la Commission européenne), ça va avoir des implications réelle sur le droit à la justice et même sur la souveraineté ».

Frontex, une troublante réputation

Frontex Dakar

L’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, plus connue sous l’appellation contractée de Frontières Extérieures (Frontex) a été mise sur pied en 2016 par l’Union européenne, sur proposition de la Commission européenne, en réponse à la crise migratoire en Europe. Ce, après avoir constaté un mandat limité de son ancêtre, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (créée en 2004), pour aider les États membres à sécuriser leurs frontières extérieures, ne disposant pas de personnel et d’équipements suffisants. L’augmentation depuis 2015 du nombre de migrants arrivant dans les pays de l’UE par la mer méditerranéenne et les Balkans depuis l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie du Sud, est le fondement de cette agence qui a son siège à Varsovie (Pologne).

 En 2019, les pouvoirs de Frontex sont renforcés par un mandat leur permettant de créer un corps permanent de garde-frontières et garde-côtes européens. Ces derniers sont chargés de la patrouille et de la sécurisation le long des pays de l’Union européenne (espace Schengen en particulier). Mais au courant de cette même année, des enquêtes de trois grands groupes médiatiques allemands (ARD et Correctiv) et anglais (The Guardian) concluent en une culpabilité de Frontex de violations de droits fondamentaux de réfugiés. Le média anglais a même publié des enregistrements confirmant une collaboration entre Frontex et les garde-côtes libyens.

Ce n’est pas tout, en 2020 également une enquête, qui suit toujours son cours, est ouverte sur ladite agence, par l’Organe de surveillance anti-fraude de l’Union européenne (OLAF). Elle porte sur des accusations de « harcèlement, d’inconduite et de refoulement de migrants ».

Sara Creta, journaliste d’investigation italienne

La journaliste italienne, Sara Creta, une des lauréats du « European Press Prize » 2022, et qui fait partie des journalistes d’investigation qui ont publié les enquêtes sur Frontex, a émis des doutes sur la transparence de l’agence. « Depuis quelques années, Frontex a vu son mandat et son budget augmenter à un rythme rapide. Elle est désormais la plus grande agence de l’UE. Son budget est passé de 6 millions d’euros en 2005 à 750 millions en 2022. Cependant, la sauvegarde de la transparence ne semble pas avoir suivi le même rythme », affirme-t-elle. Avant d’ajouter : « Cette agence a été soumise à un examen externe sévère de la part d’institutions, d’organisations et d’organes juridiques. Elle fait actuellement l’objet de plus de dix enquêtes de la part du Parlement européen, du Médiateur européen et de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) de l’UE ».

A noter que le 14 octobre 2022, Frontex a réagi à toutes les allégations et sur les enquêtes menées sur ses activités, via un communiqué. « L’Agence prend au sérieux les conclusions des enquêtes, audits et examens, et les utilise comme des opportunités pour changer et s’améliorer », lit-on dans le document publié sur leur site officiel. D’ailleurs la polémique engendrée par les accusations parues dans la presse, a poussé Fabrice Leggeri, Directeur général depuis 2015, à démissionner en avril 2022 pour être remplacer par le Neerlandais Hans Leijtens.

Des négociations au point mort avec le Sénégal, une parade trouvée avec l’AFIC ?

Les négociations pour signer le Protocole d’accord soumis aux autorités sénégalaises par la Commission européenne n’avaient toujours pas démarré en janvier 2023, selon Africa Intelligence. Néanmoins, le projet AFIC (Africa-Frontex Intelligence Community) lancé depuis 2017 par l’UE dans 8 pays africains que sont Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal et Togo, pour, officiellement « collecter et d’analyser des données sur la criminalité transfrontalière et soutenir les autorités impliquées dans la gestion des frontières », pourrait servir de prétexte à Frontex pour opérer dans ces côtes africaines ciblées.

C’est du moins ce que pense, la journaliste italienne Sara Creta, contactée par Dialogue Migration. « Pour moi l’UE propose d’envoyer des gardes et des drones Frontex au Sénégal, en la déguisant en « coopération » plutôt qu’en la présentant telle qu’elle est : une nouvelle stratégie plus stricte pour l’endiguement des migrations, le retour forcé et l’externalisation des frontières, basée sur le déséquilibre structurel du pouvoir et l’étouffement des droits des migrants et des demandeurs d’asile ».

Une rencontre de clôture de ce projet s’est tenue le 22 février 2023 à Dakar réunissant des responsables de la Commission européenne et des agents des 8 pays ciblés dont le Sénégal (Photo). Selon le communiqué qui a sanctionné cette rencontre de Dakar, lAFIC a été mise sur pied « pour promouvoir des échanges réguliers sur le trafic de migrants et d’autres menaces à la sécurité des frontières affectant les pays africains et l’UE »

« L’Europe fait une fois de plus preuve d’aveuglement en s’attaquant aux effets migratoires »

Notre consoeur d’ajouter : « Le projet d’envoyer des gardes Frontex au Sénégal pour stopper les départs ne ferait que déplacer et réorienter les routes migratoires, ainsi que les trafiquants d’êtres humains une fois de plus ». Selon elle, « l’Europe fait une fois de plus preuve d’aveuglement, en s’attaquant aux effets plutôt qu’aux causes profondes de la mobilité ».

Sur l’immunité réclamée par la Commission européenne pour ses agents de Frontex qui opéreraient sur le territoire sénégalais, Sara Creta rappelle que ce fut le cas dans les Balkans occidentaux où ils opéraient sous le couvert de « Working agreement ». Elle pense que « Cela serait particulièrement controversé car l’agence est toujours poursuivie pour son manque de transparence, y compris le harcèlement au travail, la mauvaise gestion et les irrégularités financières. Mais aussi pour son implication dans les refoulements illégaux de demandeurs d’asile et de migrants aux frontières extérieures de l’UE ».

Nous avons contacté le ministère de l’Intérieur, qui coiffe la Direction de la Surveillance du territoire (DST) pour recueillir sa position sur ce protocole d’accord. Toutes nos sollicitations sont restées sans réponse.


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