Début juillet 2023, le monde avait les yeux rivés sur le drame des migrants qui se jouaient en Tunisie. Plus de 700 migrants ont été refoulés du pays de Kais Saied et conduits vers la Libye où ils ont été abandonnés en plein désert, à la merci des intempéries, de la soif, de la faim et bien évidemment de la mort. Dans la foulée, l’Union Européenne (UE) et la Tunisie ont signé un protocole d’accord pour un « partenariat stratégique complet ». Cet accord porte sur la lutte contre l’immigration irrégulière. 105 millions d’euros seront octroyés à la Tunisie à cet effet. Aux yeux de certains analystes, cet accord n’est pas la solution au problème migratoire. Ils donnent leur avis sur cet accord et proposent des pistes de solutions.
C’est en tout 900 millions d’euros que la Tunisie recevra de l’Union Européenne à long terme pour lutter contre l’immigration. Et 105 millions d’euros à débourser dès maintenant. Cela permettra à la Tunisie, selon l’un des termes de l’accord, de renforcer le contrôle de ses frontières maritimes et terrestres mais aussi d’empêcher le transit des migrants en Tunisie sans oublier la lutte contre les passeurs. Cet accord intervient au moment où les migrants font face à un traitement inhumain en Tunisie. Cette situation choque l’opinion et certains analystes ne sont pas allés du dos de la cuillère pour décrier cela. C’est le cas de Dr Evariste Nodjioutengar Djimasdé, spécialiste des droits de l’homme et de la justice pénale internationale qui souligne que ce partenariat intervient dans un contexte particulier marqué par la xénophobie et le racisme aussi bien en Europe qu’en Tunisie. « Le devoir d’humanité, qui aurait pu amener les un-es et les autres à tendre la main aux migrants, est complètement absent. De ce qui précède, du point de vue éthique, ce partenariat ne tient aucunement », dénonce Dr Evariste Nodjioutengar Djimasdé.
François Gemenne, politologue et spécialiste des migrations, dans cet entretien qu’il a accordé à la chaine de télévision TV5 a dénoncé l’attitude mais également les propos du président tunisien car pour lui, ce dernier s’est non seulement illustré par des discours racistes mais il y a eu également plusieurs ratonnades anti migrants dans plusieurs villes de Tunisie. Il estime que cette aide de 105 millions d’euros n’est pas pertinente. « Je crains que ce soit de l’argent qui va servir à financer le processus de criminalisation et de rétorsion à l’égard des migrants subsahariens », a exprimé son inquiétude avant de poursuivre, toujours dans une posture de crainte, que la Tunisie devienne la nouvelle Libye, une sorte d’enfer sur terre pour les migrants en provenance d’Afrique subsaharienne.
La Tunisie fait finalement le “sale boulot”
L’opinion se pose de questions sur le revirement soudain de La Tunisie qui avait pourtant rappelé à l’Europe qu’elle ne fera le sale boulot à sa place. Pour Dr Evariste Nodjioutengar Djimasdé il n’y a rien d’étonnant ni de surprenant dans la mesure où le président tunisien pourrait être confronté à des pressions et des réalités économiques et sociales. Il relève que la Tunisie a une économie chancelante par conséquent « les avantages économiques et financiers qui découlent de ce partenariat ont sans nul doute pesé dans la prise de décision en faveur de l’Union Européenne ». Pour François Gemenne ce montant mis à la disposition de la Tunisie, c’est de l’argent perdu qui « servira à financer le processus de criminalisation et de rétorsion à l’égard des migrants subsahariens ».
La répression ne peut être considérée comme la seule solution pour lutter contre la migration, confie Dr Evariste Nodjioutengar Djimasdé qui poursuit en disant que la migration est un phénomène complexe et multidimensionnel, souvent motivé par des facteurs tels que la recherche de meilleures opportunités économiques, la fuite de conflits et de persécutions, ou l’instabilité politique. Il ajoute le pillage de l’Afrique qui est également l’une des causes : « en pillant systématiquement l’Afrique, en soutenant des dictatures et en asphyxiant l’Afrique à travers le système de franc CFA, l’Europe est en partie à l’origine de ces déplacements en masse », égrène-t-il la longue liste des raisons de départ des subsahariens vers l’Europe en prenant pour exemple « la déstabilisation de la Libye par les forces de l’OTAN sous l’instigation de la France le terrorisme est monté d’un cran dans le sahel occasionnant de nombreuses violations des Droits humains et occasionnant en même temps des départs massifs des africain-es ».
La solution aux problèmes migratoires ne doit pas être la répression
De l’avis du spécialiste des droits de l’homme et de la justice pénale internationale, Dr Evariste Nodjioutengar Djimasdé, la solution aux problèmes migratoires n’est et ne doit pas être la répression car quels que soient, soutient-il, les moyens déployés pour dissuader ou pour réprimer les candidats à la migration l’Union Européenne ne réussira pas.
Il estime que « la lutte contre la migration doit être abordée de manière globale et à long terme, en mettant l’accent sur des solutions durables telles que la promotion du développement socio-économique dans les pays d’origine, la création d’opportunités de vie décente, la résolution des conflits et la protection des droits fondamentaux ».
François Gemenne, quant à lui, souligne que c’est faute d’avoir une vraie politique commune d’asile et d’immigration que l’UE se tourne vers les pays tiers, souvent des pays hostiles aux migrants pour résoudre à sa place des problèmes qu’elle ne parvient pas à régler. Pour lui « il faut mettre en place le pacte européen sur l’asile et l’immigration sur lequel un accord a été récemment trouvé ». Ce n’est pas tout, car pour lui plus qu’une aide pour les pays africains, il faut un partenariat : « Tant qu’on ne considère pas les pays de départ et de transit comme des véritables partenaires dans la gestion commune de l’immigration, je crains que nous ayons une politique qui ne fonctionnera pas et qui ne sera pas efficace ».
Dans un communiqué du 31 juillet 2023 le gouvernement guinéen (Guinée Conakry) a interpellé les dirigeants de l’espace CEDEAO à se préoccuper du sort des jeunes qui « vivent un drame humain en Tunisie et dans la Méditerranée ». Il les invite par ailleurs à orienter leurs « préoccupations vers les enjeux stratégiques, socio-économiques pour l’atteinte de leurs aspirations ».
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