Elle est Tchadienne et vit au Burkina Faso depuis huit ans. Nekouanodji Eve-Noëllie Djébolo, 26 ans, est une cinéaste diplômée de l’Institut supérieur de l’Image et du Son (ISIS-SE) de Ouagadougou. Rencontre avec une femme passionnée de la caméra qui s’est imposée dans un milieu encore très misogyne.
Son style vestimentaire lui donne l’air d’un garçon manqué. Démarche alerte, Nekouanodji Eve-Noëllie Djébolo est une infatigable, présente sur presque tous les plateaux de tournage à Ouaga. La jeune opératrice de prise de vue veut rester au Burkina Faso pour acquérir de l’expérience avant de regagner son pays natal, le Tchad.
C’est après le bac littéraire, obtenu à N’Djamena en 2015 que Nekouanodji Eve-Noëllie Djébolo s’est envolée pour le Burkina Faso. Elle se forme à Ouagadougou, capitale du cinéma africain, et décroche une licence en Opérateur de prise de vue (OPV). Dans le milieu du cinéma, elle force l’admiration. Les réalisatrices et comédiennes, on en rencontre mais les femmes OPV, ne courent pas les rues. Cette spécialité est encore dominée par les hommes dont certains n’acceptent pas facilement les femmes. « Il y a certains qui t’acceptent facilement, qui sont prêts à t’encourager et qui sont contents de voir une femme dans un domaine pareil. Par contre, d’autres n’acceptent pas. Ils trouvent anormal qu’une femme exerce le même métier qu’eux. Ils te disent clairement que ce n’est pas un métier de femme ; tu n’as pas ta place ici », témoigne-t-elle, tristement. Cette perception ne rend pas la tâche facile aux femmes comme Eve qui souhaitent faire une carrière dans ce domaine.
Victimes de misogynie et autres considérations méprisantes, les femmes doivent travailler plus pour être acceptées, aux dépens de leur santé : « Déjà que les femmes sont considérées comme des êtres faibles, cela fait que tu n’as même pas le droit d’être malade. Même quand tu l’es, tu as peur de le dire. Tu caches ton mal pour pouvoir travailler parce qu’il suffit d’une petite chose pour qu’ils sautent sur l’occasion pour dire que c’est une femme donc elle est fragile », confesse-t-elle.
A ces difficultés d’insertion professionnelle, il faut compter également avec les harcèlements sexuels qui gangrènent souvent le milieu du cinéma. Même si la jeune femme dit n’avoir pas été victime, elle reconnait néanmoins que c’est « récurrent ». Pour elle, les femmes doivent uniquement s’imposer par leur travail.
Fruit de la migration
Eve est un produit du métissage culturel. Elle se sent aussi tchadienne que burkinabè. “Le Burkina Faso fait partie de moi. Ce pays m’a tant donné et m’a adopté” dit-elle. Par sa compétence, elle a participé à la réalisation d’une soixantaine de films entre le Nigéria, le Ghana et le Burkina Faso dont les plus populaires sont: “Massoud” de Emmanuel Mbaidé Rotoubam; et “Ça tourne à Ouaga”, de Irène Tassambedo.
En novembre 2021, elle a participé à la 6e édition de Focal d’Afrique, une rencontre internationale de la photographie (Ouagadougou) où elle a raflé consécutivement deux prix.
Fruit de la migration, Eve, par ailleurs ambassadrice de l’Union Africaine (UA), pense que la migration doit se faire dans le respect des lois et règlements internationaux. Si pour elle, l’être humain a le droit d’aller là où bon lui semble, cela doit se faire sans prendre des risques. Elle a foi que l’homme peut se réaliser partout et contribuer au développement partout où il se trouve. « Je réside au Burkina Faso et j’œuvre pour son développement. De la même manière, je me dis que quelqu’un d’un autre pays peut se retrouver au Tchad et travailler également pour son développement», explique-t-elle. Par contre, elle s’insurge contre la difficile libre circulation des biens et des personnes entre les pays africains qu’elle trouve « désolante » et « décourageante ».
L’amère expérience des “rackets”
Victime de l’amère expérience sur l’axe Niamey-Ouaga en février 2022, elle raconte : « A chaque arrêt, on vous fait payer et vous ignorez pourquoi vous payez », se plaint-elle. Elle se souvient:«Je revenais une fois du Niger et on s’était arrêté à un poste où on nous a demandé de payer chacun la somme de 10 mille francs CFA. Je leur ai dit que je n’avais pas d’argent. Quand j’ai refusé de payer, j’ai été menacée avant d’être débarquée du bus avec mes bagages. Je leur ai dit que je passerai la nuit avec eux, ensuite, je prendrai des images de leur poste et publierai sur Internet en expliquant ce qui se passe. C’est ainsi qu’ils m’ont laissé partir.» La jeune dame explique qu’il y avait dix-huit postes frontières et qu’à chaque poste, les passagers devaient payer cinq mille ou dix mille fcfa. « Ce qui est encore plus dommage, c’est que tu peux franchir tous ces postes sans documents de voyage, mais pour peu que tu aies de l’argent, on te laisse passer. Tu peux passer partout où tu le veux” dit-elle dépitée. Et de poursuivre: «par contre, tu peux avoir tous tes documents de voyage mais sans argent, tu auras tous les problèmes ».
Revenant sur la situation sécuritaire que traverse son pays d’accueil, Eve se désole du fait que depuis 2015, le Burkina Faso fait l’objet d’attaques terroristes qui ont fait plusieurs victimes militaires et civiles. Pour elle, « C’est humainement insupportable », regrette-t-elle.
Regards sur le Tchad
A plus de trois mille kilomètres de son pays, Eve suit de près les remous politiques. 2022 a été émaillé par une succession de tueries au Tchad. La dernière en date est le massacre du 20 octobre 2022 où au moins 200 personnes ont trouvé la mort, selon les organisations de la société civile. Lors de cette journée qualifiée de jeudi noir, les populations de plusieurs villes (N’Djamena, Doba, Bongor, Koumra, Sarh…) sont sorties massivement pour opposer leur refus à la prolongation de la transition au Tchad. Elles voient en cette manœuvre un pouvoir dynastique qui est en train de s’instaurer dans leur pays, chose inadmissible pour elles.
C’est « révoltant », lance d’un air mélancolique, la technicienne qui qualifie l’événement de « douloureux », « triste » et « désolant ». Toutefois, elle ne perd pas l’espoir et croit qu’un autre monde est possible. Elle rêve d’impacter positivement le monde à travers son engagement et son travail. Grande protectrice de l’environnement, elle dirige une association dénommée “Green Woman” qui se veut non seulement d’éduquer les jeunes à la protection de l’environnement, mais également contribuer à l’épanouissement de la jeune fille. « Si par mes images je peux mieux éduquer le monde, le changer positivement, ce serait ma plus grande récompense », conclut-elle.
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