Au Bénin, un fait retient de plus en plus l’attention et crée la polémique. L’annonce du départ de jeunes ayant une certaine notoriété, d’artistes et musiciens du pays vers d’autres cieux pour se donner d’autres perspectives devient virale et fait les choux gras des médias et l’objet de folles discussions sur les réseaux sociaux.
Dialogue Migration échange du phénomène avec l’artiste béninois de musique urbaine D.A.C (DIECI), à l’état civil Armel Adossou, producteur, réalisateur, mais également CEO de l’agence de création de contenus et d’une boîte de production dénommée ‘’GOODFRAMES’’. Cet acteur de l’univers musical qui est parti du Bénin pour la France où il a étudié et travaillé avant de rentrer en 2017, touche du doigt certaines réalités qui échappent à plus d’un.
De par votre métier, et votre parcours, vous rencontrez beaucoup d’artistes, que ce soit des Béninois ou de la sous-région et qui parcourent le monde, avec lesquels vous travaillez. S’il vous était demandé de parler de cette mobilité des artistes après votre retour au Bénin, pour mettre en valeur ce que vous avez acquis en occident, que diriez-vous ?
Je pense qu’il ne faudrait pas figer l’immigration à une ou deux catégories. Je pense que les raisons qui font que les gens bougent et voyagent sont nombreuses. Dans un premier temps, ce qui est recherché pour partir, c’est chercher le meilleur. Par conséquent, on pense qu’on va avoir mieux ailleurs. Outre cela, il y a des problématiques un peu plus personnelles, parfois dramatiques comme les guerres ou l’insécurité, qui font aussi que les gens bougent et cela ne concerne pas que les personnes qui exercent des types d’activités précis. Il y a effectivement des artistes qui sont concernés. Maintenant, si on revient plus précisément au cas des artistes qui partent, c’est paradoxal. Pourquoi ? Parce qu’on est à une ère où la musique africaine, grâce à internet, est beaucoup plus vulgarisée qu’avant. On assiste à une forte émergence de la musique afro-anglophone avec le Nigeria et l’Afrique du Sud. Mais aussi, avec l’émergence de la musique urbaine francophone, notamment le Congo (RDC), avec Fally Ipupa par exemple et tous les autres artistes qui émanent de cette région-là. La Côte d’Ivoire avec un retour du Rap Ivoire en concurrence avec le Coupé Décalé… Donc on ne peut pas dire que tous ceux qui partent c’est pour aller chercher une meilleure visibilité ou du succès. Je pense que la réalité a beaucoup stagné et que ce métier d’artiste n’a jamais été valorisé. Ce qui fait que naturellement quand vous disiez que vous êtes artiste à des parents ou à des amis, à l’époque, c’est que vous ne faites pas de métier. On vous demandait en dehors de la musique vous faites quoi ? Aujourd’hui cela a beaucoup changé … Mais, je pense finalement que culturellement et historiquement cela est à l’origine de ce qui fait que les gens (des jeunes, des moins jeunes et plus jeunes) partent encore pour l’occident. Maintenant, il y a la réalité. La chance que moi peut-être j’ai est d’être parti et de revenir, c’est peut-être de pouvoir comparer les deux. Moi je ne pourrai pas condamner quelqu’un qui part. j’avertirai peut-être pour dire que tout ce qui brille n’est pas de l’or. C’est la phrase la plus simple qui pourrait donc résumer cet Eldorado qu’on peut visualiser en étant à distance. Et il est important aussi d’aller toucher du doigt la réalité pour se rendre compte. Je ne diabolise pas l’Europe ou l’Occident, ce n’est pas l’objectif ! C’est dire qu’il y a partout de bonnes choses à prendre et des choses moins bonnes. Et on n’est jamais mieux que chez soi.
Est-ce que ce n’est pas parce que le secteur artistique n’est pas trop bien organisé pour permettre que les artistes vivent de leur art que les gens pensent qu’il faut partir ?
(Rire) J’en parlais. Oui, effectivement ! Les dispositifs qui existaient n’ont pas fonctionné, ceux actuels par exemple (ndlr : au Bénin) favorisent, je le sais, les artistes entrepreneurs. Je pense que c’est une bonne initiative de penser l’art en tant que métier. Ce qui contraste avec l’époque où lorsque vous dites « je suis artiste », on vous demande « vous faites quoi d’autre? ». Aujourd’hui, donner la casquette d’entrepreneur aux artistes, je pense que c’est très bien mais est-ce que c’est suffisant ? Non ! Et je pense que les premiers pas qui auraient dû être faits c’est peut-être d’écouter ces artistes-là et de relever les vraies difficultés des gens. Parce qu’avant de devenir entrepreneur, il faut avoir des moyens. Il faut peut-être la formation. Est-ce que le problème n’a peut-être pas été par le mauvais bout au lieu d’être pris un peu plus bas ?
Quels sont les maillages à mettre en place pour faire de l’artiste africain un entrepreneur et qu’il puisse prospérer en Afrique ou ailleurs, les espaces d’expression artistiques n’ayant pas de frontière ?
Modestement, je pense que si on doit voir l’art même comme une sorte d’école de connaissances, il y a des personnes qui sont naturellement douées. Il y en a d’autres qui ont besoin d’apprendre. Même ceux qui sont doués ont besoin d’apprendre, parce qu’il faut renforcer la connaissance qu’on a emmagasinée. Si on doit voir l’art un peu comme de la connaissance avec quelque chose d’un peu plus mystérieux, ça reste de l’art avec quelque chose d’insaisissable et chacun est toujours diffèrent dans la manière dont il produit des choses. Je dirai que ce par quoi il faut passer en premier, c’est peut-être juste l’application dans un premier temps. Déjà, parce qu’il y a des gens qui naissent avec un talent, mais qui ont besoin d’être éduqués sur la manière de vendre ce talent. La manière de s’organiser pour pouvoir vendre ce talent. La manière de s’organiser pour automatiser peut-être tout ce qui est mécanisme de créativité. Je pense que c’est plutôt une question de formation.
Aussi de l’assurance retraite, quand on sait que les SOS de soutien aux artistes en difficulté pullulent sur la toile ?
Oui ! Je le dis par expérience, parce que l’argent, c’est le nerf de la guerre. Si vous faites la musique et que vous ne gagnez pas de l’argent, mais de quoi vous allez vivre en réalité ? Aujourd’hui les gens s’amusent à dire « les artistes deviennent plutôt des mannequins » ou ce genre de choses parce qu’il est fréquent de voir un artiste associer son image à des marques. C’est un modèle économique depuis des années. Quand vous êtes artiste aujourd’hui et que vous faites comme nous une musique qui touche les familles, les hommes, les femmes, les couples, même les plus jeunes, dans le public il y a des enfants qui nous reprennent en chœur… quand vous faites ce type de musique là, je pense qu’il y a des possibilités. Par exemple, je dis quelque chose de peut-être banale comme ça, on peut être associé à une campagne de planning familial, c’est quelque chose de rémunérateur pour l’artiste. A part cela, si on prend le cadre où nous sommes qui est un hôtel, un artiste à la possibilité de mouler son image à cet endroit-là, si son image y correspond. C’est des modèles économiques qui sont complètement différents et qui tournent autour de la musique pour pouvoir générer d’autres revenus annexes. Tout cela doit faire partie de ce que l’artiste doit apprendre.
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